mercredi 26 novembre 2025

« Assurance construction : la garantie décennale s’applique aussi aux équipements industriels »

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Ombeline Soulier Dugénie, avocate associée chez Redlink, revient sur un arrêt du 25 septembre dernier dans lequel la Cour de cassation  confirme qu’une intervention lourde sur un équipement industriel, réalisée avec de véritables techniques de construction, constitue un ouvrage, même si l’équipement sert exclusivement à une activité professionnelle.

Instituée par la loi Spinetta du 4 janvier 1978, la garantie décennale est une garantie légale qui couvre, pendant dix ans à compter de la réception des travaux, les dommages affectant l’ouvrage réalisé pour le compte d’un maître d’ouvrage, qu’il soit public ou privé.

L’article 1792 du Code civil, fondement de cette garantie, précise la nature des dommages couverts. Seuls sont concernés les désordres présentant une gravité certaine, c’est-à-dire ceux qui portent atteinte à la solidité de l’ouvrage ou rendent l’ouvrage impropre à sa destination.

En outre, la garantie décennale s’applique sur la plupart des constructions, édifices et bâtiments élevés sur le sol (avec fondation lourde ou légère) incluant les ouvrages de clos et de couvert, les ouvrages de fondation et d’ossature et les ouvrages de voirie et de viabilité.

Par ailleurs, cette garantie joue y compris lorsque la cause réside dans un élément d’équipement, qu’il soit dissociable ou non.

En revanche, tous les éléments d’équipement ne sont pas concernés.

1- Rappel du champ d’application de l’article 1792-7 du Code civil

L’article 1792-7 du Code civil exclut de la garantie décennale les éléments d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, même s’ils sont indissociables : « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. »

Les équipements professionnels relevant de l’article 1792-7 du Code civil échappent aux garanties décennale et de bon fonctionnement et, par suite, à l’obligation d’assurance. Dans ce cas, les dommages les concernant sont réparés sur le fondement de la responsabilité de droit commun.

Les éléments d’équipement visés sont ceux qui ne répondent pas aux besoins de fonctionnement de l’ouvrage mais aux besoins de l’activité professionnelle exercée en son sein (cuisine équipée dans un restaurant, machines de production d’électricité dans une microcentrale électrique…).

La jurisprudence de la Cour de cassation interprète restrictivement l’exclusion de l’article 1792-7 du Code civil. Elle a récemment appliqué cette notion à un séparateur d’hydrocarbures pour le traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage. Ayant pour fonction exclusive de permettre l’exercice de l’activité professionnelle de station de lavage, la responsabilité décennale a été écartée (Cass. 3e civ., 6 mars 2025, n° 23-20.018, n° 119 FS – B).

Mais la plupart du temps, la Cour de cassation retient la qualification d’ouvrage et non d’équipements professionnels. Ainsi, les désordres affectant le câblage du réseau informatique ne permettant pas à celui-ci d’atteindre le débit contractuellement garanti : si l’équipement répondait bien aux besoins de la fonctionnalité numérique de l’ouvrage nécessaire à tout bâtiment abritant une entreprise, il n’était en revanche pas spécifique à l’activité professionnelle exercée dans celui-ci. Dès lors, la garantie biennale de bon fonctionnement devait s’appliquer dans cette affaire (Cass. 3e civ., 14 déc. 2022, n° 21-19.377 et 21-19.547). 

Pour contourner la difficulté d’interprétation d’équipement professionnelle, la Cour de cassation exige que les juges du fonds recherchent en tout état de cause si l’installation en cause ne constitue pas en elle-même un ouvrage. À titre d’exemple, une conduite métallique fermée d’adduction d’eau, construite sur plusieurs kilomètres pour acheminer l’eau vers une centrale hydroélectrique déjà existante, présentait une ampleur technique telle qu’elle devait être qualifiée d’ouvrage, et non d’élément d’équipement professionnel (Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-25.283).  Par conséquent, différentes constructions professionnelles ont pu être qualifiées d’ouvrage et bénéficier des garanties légales. L’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2025 (Civ. 3e, 25 septembre 2025, n° 467 FS-B, pourvoi n° 23-18.563) vient illustrer une nouvelle fois cette jurisprudence.

2- L’apport de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2025

L’arrêt du 25 septembre 2025 s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle qui interprète de manière restrictive le champ d’application de l’article 1792-7 du Code civil, afin de favoriser l’application de la garantie décennale et d’éviter l’exclusion du régime des assurances construction.

Dans cette affaire, une société exploitant une unité industrielle de production d’ammoniac, agissant en qualité de maître d’ouvrage, a confié à une entreprise spécialisée, intervenant en qualité de locateur d’ouvrage, la réfection du revêtement réfractaire de la chaudière à gaz, des fours et des gaines de liaison de son installation. L’entreprise, couverte par des garanties d’assurance de responsabilité civile décennale et d’assurance de responsabilité civile professionnelle, a exécuté les travaux, lesquels ont été réceptionnés sans réserve.

Postérieurement à la réception, des désordres sont apparus, se manifestant par des fuites d’eau et de vapeur affectant les équipements, et ayant provoqué l’arrêt de l’exploitation de l’unité industrielle, entraînant pour l’entreprise un manque à gagner significatif.

Dans la présente affaire, la cour d’appel a bien constaté que les travaux portaient sur la rénovation du revêtement réfractaire de plusieurs composants d’une unité de production d’ammoniaque, laquelle présentait une vocation exclusivement industrielle et formait un ensemble indissociable de l’usine. Toutefois, alors que les désordres portaient bien sur un élément d’équipement à vocation exclusivement professionnelle, au sens de l’article 1792-7 du Code civil, elle a considéré que, s’agissant d’une rénovation lourde, comportant un apport de matière et réalisée au moyen de travaux de maçonnerie, ces interventions devaient être qualifiées d’ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil.

La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel considérant que les travaux de réfection réalisés par le locateur d’ouvrage, avec des techniques de construction (dépose, fabrication, maçonnerie, mortier, béton, ancrage), constituaient en eux-mêmes un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil.

En conséquence, ces travaux ne relevaient pas du champ d’application de l’article 1792-7 du Code civil, confirmant ainsi que la garantie décennale s’appliquait bien, permettant ainsi de mobiliser l’assurance du locateur d’ouvrage.